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Théorie électrofaible : 50 ans de grandes découvertes

Le 19 juillet 1973, la chambre à bulles Gargamelle au CERN révélait l'existence des courants faibles neutres et ancrait solidement un Modèle standard de la physique des particules encore balbutiant

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The first leptonic neutral current event spotted with Gargamelle. It shows an incoming neutrino (not visible) arriving from below where it then interacts with an electron (visible track). The interaction radiates photons and then produces electron–positron pairs. Credit: CERN-EX-60100-1/ Kurt Riesselmann

Le premier courant neutre leptonique détecté avec Gargamelle. Un neutrino incident (non visible) arrivant par le bas interagit avec un électron (trace visible). L'interaction produit des photons, puis des paires électron-positon. Crédit : CERN-EX-60100-1/ Kurt Riesselmann

Il y a un demi-siècle, une série de petites traces dans une chambre à bulles au CERN allait changer le cours de la physique des particules. L'observation de « courants neutres faibles », annoncée le 19 juillet 1973 par Paul Musset, membre de la collaboration Gargamelle, laissait supposer que les forces électromagnétique et faible sont des facettes d'une interaction électrofaible plus fondamentale qui régnait dans l'Univers primitif. L'exploration de ce nouveau secteur de la nature est depuis lors une activité essentielle du CERN, qui a conduit à la découverte des bosons W et Z, en 1983, puis à celle du boson de Higgs, en 2012.

La force faible est l'une des quatre forces fondamentales de la nature, responsable de processus cruciaux, tels que la désintégration bêta. S’il était admis depuis longtemps que la force électromagnétique était le résultat de l'échange de photons, neutres, entre particules chargées, il était alors plus difficile d'exprimer l'interaction faible dans le cadre de la théorie quantique. Dans les années 1960, les théoriciens postulèrent que l'interaction faible était véhiculée par des versions massives du photon : le boson W, chargé, et le boson Z, neutre, tous deux inextricablement liés au photon, associé à l'électromagnétisme. Selon la théorie, le boson W devait donner lieu à des interactions faibles impliquant une redistribution de la charge électrique, tandis que le boson Z devait permettre aux particules non chargées d'interagir par le biais de la force faible. Le premier type d’interactions était déjà connu ; le deuxième, en revanche, n’avait encore jamais été observé.

Lorsque les physiciens commencèrent à maîtriser l'art d'envoyer des faisceaux intenses de neutrinos vers des détecteurs pour étudier les interactions fondamentales, la recherche sur les courants neutres est alors devenue possible. À la fin des années 1960, André Lagarrigue, du LAL Orsay, proposa la plus grande chambre à bulles du monde, Gargamelle, allusion au personnage de fiction. La chambre fut construite en 1968 par l'École polytechnique de Paris et assemblée sur l'une des lignes de faisceau du Synchrotron à protons du CERN. La collecte des données commença en 1970 et les premiers résultats furent publiés peu après. La recherche des courants neutres ne figurait qu'en huitième position parmi les dix premiers objectifs de physique de Gargamelle, ce qui témoigne de l'intérêt relatif des expérimentateurs de l'époque pour ce domaine d'étude.

Il n'a pas été facile de trouver, parmi de nombreux événements d’apparence similaire, des preuves expérimentales de l'existence des courants neutres, en particulier avec la technologie dont on disposait à l'époque. Les chercheurs devaient observer à la fois des événements « leptoniques » (l'interaction d'un neutrino avec un électron dans le gaz dense dont était remplie la Gargamelle) et des événements « hadroniques » (la diffusion d'un neutrino par un proton ou un neutron). « Je me souviens avoir passé des soirées entières avec mes collègues à scruter les films sur des projecteurs spéciaux, ce qui nous permettait d'observer les huit vues de la chambre, se souvient Donatella Cavalli, alors membre de la collaboration Gargamelle pour l'Université de Milan, et doctorante. La découverte, en décembre 1972, du premier événement leptonique nous a convaincus de l'existence des courants neutres. »

D'autres données allaient révéler des événements hadroniques correspondant potentiellement à des courants neutres, mais il a fallu du temps pour convaincre la communauté. Dans un premier temps, l'expérience indépendante Harvard–Pennsylvanie–Wisconsin–Fermilab, aux États-Unis, confirma les résultats de Gargamelle, mais lorsque son dispositif d’expérimentation fut modifié, les traces disparurent. Ce n'est qu'en 1974, après la réalisation d'une analyse plus poussée par les deux collaborations, que l'existence des courants neutres a été universellement reconnue, ce qui a valu à Sheldon Glashow, Abdus Salam et Steven Weinberg, pères de la théorie électrofaible, le prix Nobel de physique 1979.

La chambre à bulles Gargamelle est aujourd'hui exposée au Square Van Hove, au CERN, mais les scientifiques continuent d'explorer la voie qu'elle a ouverte. En apportant la première preuve de la théorie électrofaible, les résultats de Gargamelle ont conduit le CERN à transformer le Supersynchrotron à protons en un collisionneur proton-antiproton suffisamment puissant pour permettre aux collaborations UA1 et UA2 de découvrir de manière directe les bosons W et Z – un exploit reconnu par l'attribution du prix Nobel de physique 1984 à Carlo Rubbia et Simon van der Meer, physiciens au CERN. Dans les années 1990, les mesures de précision des bosons W et Z au Grand collisionneur électron-positon (LEP) ont confirmé d'importantes « corrections quantiques » à la théorie électrofaible (qui, avec la théorie de la force forte – la chromodynamique quantique – constitue le Modèle standard de la physique des particules). Ces avancées ont conduit à la découverte, en 2012, de la dernière pièce du puzzle électrofaible – le boson de Higgs – au Grand collisionneur de hadrons (LHC), une découverte qui a été saluée par l'attribution en 2013 du prix Nobel de physique aux théoriciens François Englert et Peter Higgs.

Mais l'histoire ne s'arrête pas là. Alors que les expériences ATLAS et CMS auprès du LHC continuent de sonder le boson de Higgs et d'autres secteurs mystérieux du Modèle standard avec une précision croissante, les scientifiques étudient la faisabilité d'un nouveau collisionneur au CERN – le Futur collisionneur circulaire (FCC) – qui permettrait d'aller encore plus loin dans l'exploration de la théorie électrofaible.

Pour en savoir plus, lire l'article correspondant du CERN Courier en anglais:

CERN's neutrino odyssey

The Higgs after LHC

Un symposium scientifique marquant les 50 ans de la découverte des courants neutres et les 40 ans de la découverte des bosons W et Z aura lieu au CERN le 31 octobre 2023 à l'auditorium du Portail de la science.

bubble chamber,History of CERN
La chambre à bulles Gargamelle est à présent exposée dans le parc situé à proximité du Portail de la science. (Image: CERN)