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L’équilibre délicat des saveurs des leptons

La nouvelle mesure par ATLAS de l’universalité de la saveur leptonique, caractéristique-clé du Modèle standard, lors de désintégrations du boson W, est plus précise que toutes les mesures précédentes combinées

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Shows the ATLAS detector

Le détecteur ATLAS (Image: A. Peixoto/ATLAS)

À l’occasion des récentes Rencontres de Moriond, la collaboration ATLAS a présenté le résultat de son test le plus récent d’un principe-clé du Modèle standard de la physique des particules, à savoir l’« universalité de la saveur leptonique ». La précision du résultat est la meilleure jamais obtenue par une expérience seule concernant les désintégrations du boson W, et est supérieure à la moyenne actuelle des résultats expérimentaux.

La plupart des particules élémentaires peuvent être classées en groupes ou familles ayant des propriétés similaires. Par exemple, la famille des leptons comprend l’électron (qui forme le nuage de particules chargées négativement entourant le noyau de chaque atome), le muon (une particule plus lourde que l’électron, que l’on trouve dans les rayons cosmiques) et le lepton tau (une particule encore plus lourde, à courte durée de vie, que l’on n’observe que dans les interactions de particules de haute énergie).

En l’état actuel des connaissances, la seule différence entre ces trois particules est leur masse, générée par leurs interactions, d’intensité diverse, avec le champ fondamental associé au boson de Higgs. En particulier, l’une des caractéristiques notables du Modèle standard est que chaque type, ou « saveur », de lepton, est tout autant susceptible d’interagir avec un boson W, particule chargée porteuse de la force faible, l’une des quatre forces fondamentales de la nature. Ce principe est connu sous le nom d’« universalité de la saveur leptonique ».

Les tests de haute précision de l’universalité de la saveur leptonique, obtenus en comparant les taux de désintégration du boson W en un électron et un neutrino électronique, en un muon et un neutrino muonique ou en un lepton tau et un neutrino tauique, sont donc des outils de bonne sensibilité pour sonder la physique au-delà du Modèle standard. En effet, si l’universalité de la saveur leptonique est respectée, ces taux de désintégration devraient être égaux (avec des corrections négligeables liées à la masse).

Un moyen de le vérifier consiste à mesurer les rapports des taux de désintégration du boson W en différentes saveurs leptoniques. La collecte d’un échantillon pur (« non biaisé ») de bosons W est l’une des principales difficultés d’une telle étude auprès du Grand collisionneur de hadrons (LHC). Dans un article publié par Nature Physics en 2021, l’expérience ATLAS a présenté la mesure la plus précise au monde du rapport entre le taux de désintégration du boson W en un lepton tau et son taux de désintégration en un muon, démontrant que les événements de collision dans lesquels est produite une paire de quarks top permettent d’obtenir un échantillon abondant et limpide de bosons W.

Dans un article récent, l’expérience ATLAS a publié une nouvelle mesure, portant cette fois sur le rapport entre le taux de désintégration du boson W en un muon et son taux de désintégration en un électron. Bien que la combinaison de toutes les mesures précédentes ait montré que ce rapport se situe à environ 0,6 % de l’unité, ce qui correspond à des taux de désintégration égaux, des améliorations sont encore possibles.

Le nouveau résultat d’ATLAS repose sur l’étude de l’ensemble de ses données issues de la deuxième période d’exploitation du LHC, collectées entre 2015 et 2018. L’analyse a porté sur plus de 100 millions d’événements de collisions de paires de quark top. Le quark top se désintègre aussitôt en un boson W et un quark bottom ; il a ainsi été possible de récolter 100 millions de paires de bosons W. En comptant les événements impliquant deux électrons (et pas de muon) ou deux muons (et pas d’électron), les physiciens peuvent vérifier si le boson W se désintègre plus souvent en un électron ou en un muon.

Ce n’est pas si simple en fait. Le boson Z, particule neutre porteuse de la force faible, peut également se désintégrer en une paire d’électrons ou de muons, laissant une signature expérimentale analogue à celle d’une paire de quarks top. Étant donné que la masse combinée des leptons dans les gammes d’événements faisant intervenir des bosons Z se concentre autour de la masse du boson Z (91 GeV), il est possible d’estimer ce processus de bruit de fond et de l’extraire.

En outre, grâce aux mesures effectuées dans les années 1990 auprès du Grand collisionneur électron-positon (LEP) du CERN, prédécesseur du LHC, et auprès du Collisionneur linéaire de Stanford (SLC), on sait que le rapport entre le taux de désintégration du boson Z en deux muons et son taux de désintégration en deux électrons est égal à l’unité, à 0,3 % près. Ainsi, dans cette analyse d’ATLAS, le rapport du taux de désintégration du boson Z a été défini comme mesure de référence, permettant aux chercheurs de réduire les incertitudes issues de la reconstitution des électrons et des muons. En outre, de nombreuses incertitudes de mesure étant similaires dans les événements impliquant deux électrons et dans ceux impliquant deux muons, on a constaté qu’elles n’avaient qu’un effet mineur sur le rapport du taux de désintégration mesuré. 

Le résultat final de cette nouvelle analyse d’ATLAS est un rapport de 0,9995, avec une incertitude de 0,0045, parfaitement compatible avec l’unité. Avec une incertitude de seulement 0,45 %, la mesure est plus précise que toutes les mesures précédentes combinées (voir l’illustration ci-dessous). Pour l’instant, l’universalité de la saveur leptonique est préservée.

Physics,ATLAS
Mesures du rapport entre le taux de désintégration du boson W en un muon et son taux de désintégration en un électron. Le nouveau résultat d’ATLAS est représenté dans la dernière ligne par un cercle bleu, sans remplissage de couleur. Les mesures précédentes sont indiquées au-dessus par différentes figures avec remplissage de couleur, et la moyenne de tous les résultats précédents du groupe PDG (Particle Data Group) est indiquée par un losange noir. (Image : ATLAS/CERN)