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L'expérience ALPHA au CERN observe l’influence de la gravité sur l’antimatière

Ce résultat constitue une étape importante dans l’étude des propriétés et du comportement de l’antimatière

Insertion of the ALPHA-g apparatus (Image: CERN)

Insertion de l'expérience ALPHA-g (Image: CERN)

Les travaux historiques d'Isaac Newton sur la gravité auraient été inspirés par l'observation d'une pomme tombant d'un arbre. Mais qu'en est-il d'une « anti-pomme », faite d'antimatière ? Tomberait-elle de la même manière si elle existait ? Selon la théorie de la relativité générale d'Albert Einstein – la théorie moderne de la gravité – l'antimatière et la matière devraient tomber sur la Terre de la même manière. Mais est-ce vraiment le cas, ou existe-t-il d'autres forces à longue portée, au-delà de la gravité, qui influent sur leur chute libre ?

Dans un article publié aujourd'hui dans la revue Nature, la collaboration ALPHA auprès de l'usine d'antimatière du CERN montre que, dans la limite de la précision de leur expérience, les atomes d'antihydrogène (constitués d’un positon en orbite autour d'un antiproton), tombent sur Terre de la même manière que leurs équivalents dans la matière.

« En physique, on ne sait pas vraiment quelque chose tant qu'on ne l'a pas observé, explique Jeffrey Hangst, porte-parole d'ALPHA. Il s'agit de la première expérience directe permettant d'observer concrètement un effet gravitationnel sur l'antimatière en mouvementC’est là une étape importante dans l'étude de l'antimatière, dont l'absence apparente dans l’Univers reste un mystère. »

La gravité est la force d'attraction entre deux objets possédant une masse. Elle est de loin la plus faible des quatre forces fondamentales de la nature. Les atomes d'antihydrogène sont des particules d'antimatière stables et électriquement neutres. Ces propriétés en font des systèmes idéaux pour étudier le comportement gravitationnel de l'antimatière.

La collaboration ALPHA crée des atomes d'antihydrogène à partir d’antiprotons, chargés négativement, produits et ralentis par les machines AD et ELENA de l'usine d'antimatière du CERN, en les liant à des positons, chargés positivement, provenant d’une source de sodium-22. Elle emprisonne ensuite les atomes, neutres mais faiblement magnétiques, d’antimatière qui en résultent dans un piège magnétique, qui les empêche d’entrer en contact avec la matière et d’être annihilés. 

Jusqu'à présent, l'équipe d’ALPHA a essentiellement fait appel au dispositif ALPHA-2 pour réaliser des études spectroscopiques consistant à projeter de la lumière laser ou des micro-ondes sur les atomes d'antihydrogène afin d’en mesurer la structure interne. Mais l’équipe a également construit un dispositif vertical, appelé ALPHA-g, qui a reçu ses premiers antiprotons en 2018 et a été mis en service en 2021. Le « g » désigne l'accélération locale de la gravité, qui, pour la matière, est d'environ 9,81 mètres par seconde au carré. Le dispositif permet de mesurer dans quelles positions verticales les atomes d'antihydrogène s'annihilent avec la matière une fois que le champ magnétique du piège est arrêté et que les atomes peuvent ainsi s’échapper.

C'est exactement ce qu'ont fait les scientifiques d'ALPHA dans leur nouvelle étude, après une expérience de démonstration de principe réalisée en 2013 avec la configuration d’origine d’ALPHA. Ils ont piégé des groupes d'environ 100 atomes d'antihydrogène, un groupe à la fois, puis ont libéré lentement les atomes sur une période de 20 secondes en réduisant progressivement l’intensité du courant dans l’aimant supérieur et dans l’aimant inférieur du piège. D’après les simulations informatiques de l'installation ALPHA-g, cette opération entraînerait, pour la matière, la libération d'environ 20 % des atomes par le haut du piège et 80 % par le bas, une différence causée par la force de gravité, attirant les atomes vers le bas. En faisant la moyenne des résultats de sept essais de libération des atomes, l'équipe d’ALPHA a constaté que les proportions d'antiatomes sortant par le haut et le bas du piège étaient conformes aux résultats des simulations.

L'étude complète a consisté à répéter l'expérience plusieurs fois pour différentes valeurs d'un champ magnétique supplémentaire de « biais », qui pourrait soit renforcer, soit contrecarrer la force de gravité. En analysant les données de cette « gamme de biais », l’équipe a constaté que, dans la limite de la précision de l'expérience actuelle (environ 20 % de g), l'accélération d'un atome d'antihydrogène semble correspondre à la force attractive exercée par la gravitation entre la matière et la Terre.

« Il nous a fallu 30 ans pour apprendre à fabriquer cet antiatome, à le conserver et à le contrôler suffisamment bien pour pouvoir le faire tomber de sorte qu'il soit sensible à la force de gravité, » explique Jeffrey Hangst. Et d’ajouter : « L'étape suivante consiste à mesurer l'accélération aussi précisément que possible. Nous voulons vérifier si la matière et l'antimatière “tombent bien de la même manière. Le refroidissement par laser des atomes d'antihydrogène, que nous avons démontré pour la première fois dans ALPHA-2 et que nous mettrons en œuvre dans le dispositif ALPHA-g en 2024, devrait avoir un impact important sur la précision ».

L'usine d'antimatière du CERN est une installation unique au monde consacrée à la production d’antimatière et à son étude. Elle accueille, outre ALPHA, les expériences AEgIS et GBAR qui visent également à mesurer avec une grande précision l'accélération gravitationnelle de l'antimatière atomique. On y trouve également l’expérience BASE, dont le but est de comparer avec une grande précision les propriétés du proton avec celles de son équivalent dans l’antimatière ; cette expérience a récemment effectué une comparaison du comportement gravitationnel de ces deux particules.

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