La découverte du boson de Higgs n'était pas une fin en soi. C'était le début d'un nouveau chapitre. On peut comparer cette découverte à celle d'un nouveau continent lors d'une expédition en mer : un territoire tout entier à explorer.

S'agit-il vraiment du boson de Higgs ?

La première étape de cette exploration a consisté à vérifier si la nouvelle particule découverte était bien le boson de Higgs, ou quelque chose de totalement différent. Mais comment établir l'identité d'une particule ?

Chaque type de particule est caractérisé par un ensemble de propriétés : masse, charge électrique, durée de vie, etc. Dans le cas du boson de Higgs, la masse était la seule inconnue. Il est possible, pour une masse connue, de calculer toutes les autres propriétés d’après la théorie. En les mesurant expérimentalement et en les comparant avec le résultat de ces calculs, les scientifiques peuvent vérifier qu'ils ont bien découvert le boson de Higgs.

L'une des premières choses à vérifier était le « spin ». Le spin est une propriété de mécanique quantique des particules, une forme de moment cinétique intrinsèque. Toutes les particules qui composent la matière – les quarks et les leptons – ont un spin de 1/2, et tous les bosons porteurs de force ont un spin de 1. Le boson de Higgs est unique en son genre car il a un spin de 0, ce qui en fait la seule particule élémentaire connue dépourvue de spin.

On peut établir le spin d'une particule en observant ses désintégrations. Les scientifiques ont découvert le nouveau boson en observant les désintégrations en photons et en bosons Z, ce qui apporte déjà une contrainte très restrictive : seule une particule avec un spin de zéro ou de deux peut se désintégrer aussi bien en photons qu'en bosons Z. Grâce à une analyse minutieuse des corrélations angulaires, c'est-à-dire des configurations des directions dans lesquelles s'échappent les produits des désintégrations, les scientifiques ont pu réfuter l'hypothèse d'un spin égal à 2 avec niveau de confiance élevé, et confirmer que le nouveau boson a un spin nul.

Ainsi, malgré l'annonce de la découverte le 4 juillet 2012, il a fallu attendre mars 2013 – et deux fois et demie plus de données – pour être sûr qu’une particule de type Higgs avait bien été découverte.

Mesurer les forces d'interaction

Les études réalisées au cours des dix dernières années ont consisté essentiellement à mesurer les forces d'interaction du boson de Higgs avec d'autres particules – « les « couplages » comme les appellent les physiciens – pour voir si elles concordent avec celles prédites par la théorie.

Les couplages aux différentes particules correspondent aux masses de ces particules, puisque ces masses résultent des interactions avec le champ de Higgs. Ces couplages sont observés expérimentalement lors de la production de bosons de Higgs et de leur désintégration : plus une particule est lourde (et plus le couplage est fort), plus il est probable que le boson de Higgs se désintégrera en cette particule ou sera produit à partir de celle-ci.

Lors de la découverte, les équipes ont déterminé les forces d'interaction du boson de Higgs avec les autres bosons en observant la production de bosons de Higgs à partir de gluons et les modes de désintégration du boson de Higgs en photons et en bosons W et Z.

L'étape suivante a consisté à mesurer les forces d'interaction du boson de Higgs avec les particules de matière.

La désintégration du boson de Higgs en paires de leptons tau a été découverte en 2016 grâce à une analyse combinée d'ATLAS et de CMS. Le couplage avec le lepton tau a été mesuré et s'est avéré conforme aux attentes. L'objectif était ensuite de mesurer le couplage du boson de Higgs au quark top.

Dans le cas du quark top, le processus de production était le seul moyen d'étudier le couplage, car le quark top est plus lourd que le boson de Higgs et ne peut donc pas se désintégrer en une paire de quarks top. La production de bosons de Higgs à partir d'une fusion de deux quarks top a été mesurée en 2018 via l'observation du processus de « production ttH », dans lequel un boson de Higgs est produit en association avec deux quarks top.

Les équipes ont également observé en 2018, soit six ans après l'annonce de la découverte, la désintégration du boson de Higgs en quarks b, alors que cette désintégration était la plus probable : 58 % des bosons de Higgs se désintègrent en quarks b. Mais les quarks b sont produits en si grand nombre dans les collisions au LHC que la recherche d'une désintégration du boson de Higgs se heurte à un énorme bruit de fond, ce qui rend la mesure extrêmement difficile.

Cette interaction ayant été confirmée, les scientifiques savent désormais que le champ de Higgs donne effectivement une masse au lepton tau et aux quarks top et bottom, des particules appartenant à la plus lourde des trois familles, ou générations, connues de particules de matière.

Et maintenant ?

Grâce à la troisième période d'exploitation du LHC, les scientifiques vont disposer d'une multitude de données pour approfondir l'étude de cette mystérieuse particule.

Sonder le boson de Higgs avec une précision croissante pourrait ouvrir de nouvelles voies de recherche, et conduire à une nouvelle physique. Observer sa désintégration en paires de particules de matière de deuxième génération, tels que les quarks c, contribuera à mieux comprendre le mécanisme de Brout-Englert-Higgs (BEH) et les propriétés par lesquelles il donne aux particules leur masse. Et le temps nous dira si le boson de Higgs peut apporter des réponses sur l'évolution de l'Univers primordial, voire sur la matière noire.

Pour en savoir plus, lire « Qu'allons-nous chercher ensuite ? »