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Des milliers d'anti-atomes froids produits au CERN

Genève, le 18 septembre 2002. Une équipe internationale de physiciens travaillant sur le Décélérateur d'antiprotons (AD) du CERN1 a annoncé la première production contrôlée de grandes quantités d'atomes d'antihydrogène à basse énergie. Après avoir mélangé des nuages froids de positons et d'antiprotons capturés (il s'agit des antiparticules des électrons et des protons qui nous sont familiers) dans des conditions étroitement contrôlées, la collaboration ATHENA a identifié des atomes d'antihydrogène, formés lorsque des positons se lient à des antiprotons. Les résultats sont publiés en ligne ce jour même par la revue Nature*.

Le Directeur Général, Luciano Maiani a déclaré : "La production contrôlée d'antihydrogène observée à ATHENA est un grand événement scientifique et technique. D'autant plus qu'ATHENA a produit de l'antihydrogène en quantités abondantes, ce qui était inattendu. Je voudrais également souligner la contribution de l'expérience ATRAP au CERN, qui a été pionnière dans les technologies de capture d'antiprotons et de positons froids, un pas essentiel vers la découverte actuelle."

L'expérience ATHENA, qui est conduite par une collaboration** de 39 scientifiques appartenant à neuf institutions différentes du monde entier, a observé les premiers signes nets de la présence d'antihydrogène en août dernier. Hasard du calendrier, on fêtait alors le centième anniversaire de la naissance du théoricien Paul Dirac qui avait prédit vers la fin des années 20 l'existence de l'antimatière. Le porte-parole d'ATHENA, Rolf Landua, a déclaré : "Cette expérience est un grand pas pour la science de l'antimatière et une première étape importante vers des comparaisons précises entre l'hydrogène et l'antihydrogène. Ces mesures apporteront des informations essentielles à notre connaissance de l'Univers et contribueront en particulier à expliquer pourquoi la Nature montre une préférence pour la matière plutôt que pour l'antimatière."

La méthode employée par ATHENA permet de remédier aux deux principales limitations d'expériences précédentes, réalisées au CERN et au Laboratoire Fermi américain, qui n'avaient pu produire que quelques anti-atomes par jour avec des vitesses proches de celle de la lumière.

L'installation AD prend d'abord en charge des antiprotons de haute énergie et les ralentit jusqu'à l'allure tranquille - du moins selon les critères du CERN - d'un dixième de la vitesse de la lumière. ATHENA capture ensuite ces antiprotons dans une "cage" créée par des champs électromagnétiques et réduit encore leur vitesse jusqu'à quelques millionièmes de la vitesse de la lumière. L'appareillage d'ATHENA capture et ralentit - on dit qu'il "refroidit" - environ 10 000 antiprotons de chaque paquet arrivant de l'anneau AD. Dans l'étape suivante, ils sont mélangés à quelque 75 millions de positons froids. Ces derniers sont recueillis à la suite de la désintégration d'un isotope radioactif, puis capturés dans un second piège et pour finir transférés à un troisième piège, dit "de mélange". C'est là que peuvent se former des atomes d'antihydrogène froids, c'est-à-dire très lents.

L'équipement principal pour les observations d'ATHENA est le détecteur des annihilations d'antihydrogène, qui entoure le piège où s'opère le mélange des antiprotons et des positons. Lorsqu'un positon et un antiproton s'associent pour former un atome neutre d'antihydrogène, celui-ci échappe aux champs électromagnétiques de capture, qui sont créés par des électrodes métalliques. L'anti-atome vient alors frapper l'une des électrodes, et le positon et l'antiproton s'annihilent séparément, au contact respectivement d'un électron et d'un proton, à la surface du métal.

Le détecteur apporte une preuve non ambiguë de la présence d'antihydrogène en décelantëles annihilations de l'antiproton et du positon, qui se produisent simultanément et à la même position. La collaboration ATHENA a constaté que plusieurs anti-atomes étaient produits en moyenne par seconde pendant le mélange des positons et des antiprotons. L'expérience a déjà produit à ce jour quelque 50 000 atomes d'antihydrogène.

ATHENA est l'une des deux expériences mises sur pied pour rechercher de l'antihydrogène froid au moyen de l'installation AD. L'année dernière, l'expérience ATRAP avait été la première à utiliser des positons froids pour refroidir les antiprotons. L'expérience était également parvenue à confiner avec succès les deux ingrédients de l'antihydrogène froid dans la même structure de capture. Cette capture simultanée de positons et d'antiprotons avait été démontrée pour la première fois par TRAP, le prédécesseur d'ATRAP, qui était en service auprès de l'anneau d'antiprotons de basse énergie LEAR du CERN.

Ces succès obtenus au CERN sont des étapes importantes sur la voie de la capture, de l'accumulation et du refroidissement de l'antihydrogène. L'antihydrogène froid sera un nouvel instrument pour des études de précision dans une large gamme de disciplines scientifiques. La comparaison des interactions de l'hydrogène et de l'antihydrogène avec des champs électromagnétiques et gravitationnels jouera un rôle fondamental. Toute différence, même minime, qui serait observée entre la matière et l'antimatière aurait de profondes conséquences sur notre connaissance fondamentale de la Nature et de l'Univers.

Pour plus d'informations : voir SITE WEB

* M. Amoretti, C. Amsler, G. Bonomi, A. Bouchta, P. Bowe, C.Carraro, C. L. Cesar, M. Charlton, M. J. T. Collier, M. Doser, V.Filippini, K. S. Fine, A. Fontana, M. C. Fujiwara, R.Funakoshi, P. Genova, J. S. Hangst, R. S. Hayano, M.H.Holzscheiter, L. V. Jørgensen, V. Lagomarsino, R. Landua, D.Lindelöf, E. Lodi Rizzini, M. Macrì, N. Madsen, G. Manuzio, M.Marchesotti, P. Montagna, H. Pruys, C. Regenfus, P. Riedler, J. Rochet, A. Rotondi, G. Rouleau, G.Testera, A. Variola, T. L. Watson & D. P. van der Werf, Nature advance online publication 0 0000 (doi:10.1038/nature01096)

** Instituts participant à la collaboration ATHENA :

  • Istituto Nazionale di Fisica Nucleare, Sezione di Genova, 16146 Genova, Italie
  • Physik-Institut, université de Zürich, CH-8057 Zürich, Suisse
  • Division EP, CERN, CH-1211 Genève 23, Suisse
  • Dipartimento di Chimica e Fisica per l'Ingegneria e per i Materiali, 25123 Brescia, Italie
  • Département de physique et d'astronomie, université d'Aarhus, DK-8000 Aarhus C, Danemark
  • Instituto de Fisica, Universidade Federal do Rio de Janeiro, Rio de Janeiro 21945-970, Brésil
  • et Centro Federal de Educação Tecnologica do Ceara, Fortaleza 60040-531, Brésil
  • Department of Physics, University of Wales Swansea, Swansea SA2 8PP, Royaume-Uni
  • Istituto Nazionale di Fisica Nucleare, Sezione di Pavia, 27100 Pavia, Italie
  • Dipartimento di Fisica Nucleare e Teorica, Università di Pavia, 27100 Pavia, Italie
  • Département de physique, université de Tokyo, Tokyo 113-0033, Japon
  • Dipartimento di Fisica di Genova, 16146 Genova, Italie
1. Le CERN, le Laboratoire Européen de Physique des Particules, est basé à Genève. Actuellement ses états membres sont l'Autriche, la Belgique, la Bulgarie, la République Tchèque, le Danemark, la Finlande, la France, l'Allemagne, la Grèce, la Hongrie, l'Italie, les Pays Bas, la Norvège, la Pologne, le Portugal, la République de Slovaquie, l'Espagne, la Suède, la Suisse et le Royaume Uni. Israël, le Japon, la Fédération de Russie, les Etats Unis d'Amérique, la Turquie, la Commission Européenne et l'UNESCO ont un statut d'observateur.