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Le CERN trouve un financement extérieur pour un nouveau projet sur l'antimatière

Genève, le 10 mars 1997. Le CERN1 s'apprête à construire une nouvelle installation d'expérimentation, le Décélérateur d'antiprotons (AD), en transformant l'une de ses machines existantes, le "Collecteur d'antiprotons", qui produit et stocke des antiprotons, en une machine "à tout faire" capable en outre de décélérer, refroidir et éjecter des antiprotons à basse énergie (5,8 MeV). La transformation coûtera environ 7 millions de francs suisses et sera financée par des contributions spéciales de plusieurs pays, parmi lesquels le Japon, l'Allemagne, l'Italie, le Danemark, la Pologne et les Etats-Unis.

Cette nouvelle installation a essentiellement pour but de permettre à une communauté d'environ 150 physiciens de poursuivre ses efforts pour travailler avec des antiprotons de très basse énergie, en particulier pour les recherches sur l'antihydrogène. L'antihydrogène est un atome constitué entièrement d'antiparticules: alors que l'hydrogène ordinaire se compose d'un proton positif et d'un électron négatif en orbite autour de ce proton, l'atome d'antihydrogène possède en son centre un "antiproton" négatif lié à un "positon" positif.

Les expériences de pionnier effectuées au CERN et plus récemment au Laboratoire Fermi américain n'avaient qu'un seul objectif: produire et détecter quelques atomes d'antihydrogène. Elles ont réussi à démontrer qu'il était effectivement possible de produire de l'antihydrogène, mais le véritable objectif est très éloigné: il s'agit de comparer avec précision les propriétés physiques des atomes de matière et d'antimatière. L'hydrogène constitue les trois quarts de notre Univers et une bonne part de ce que nous savons de cet élément nous l'avons appris en étudiant l'hydrogène ordinaire. S'il apparaissait que le comportement de l'antihydrogène diffère, ne serait-ce que par d'infimes détails, de celui de l'hydrogène ordinaire, les physiciens devraient revoir ou abandonner nombre d'idées admises sur la symétrie entre la matière et l'antimatière.

La réponse est à trouver dans l'étude de l'atome d'antihydrogène, de préférence au repos. Les techniques requises pour capturer de l'antimatière dans des bouteilles ou des pièges électriques ou magnétiques permettant une analyse de précision font l'objet de travaux de développement intensifs au CERN. Deux collaborations d'expérimentateurs, ATHENA et ATRAP, ont été constituées pour produire de l'antihydrogène et étudier sa spectroscopie lorsque la machine AD sera en service, dès le printemps de 1999. Chaque expérience envisage de produire et de capturer plus de mille atomes d'antihydrogène par heure. L'antihydrogène promet d'être un outil d'une fantastique sensibilité pour déterminer si un monde fait d'antimatière serait vraiment indiscernable du nôtre. Un troisième pilier du programme AD sera constitué par un projet japonais et européen d'investigation de la découverte récente selon laquelle les particules de l'antimonde sont parfois à même de survivre dix millions de fois plus longtemps que ce qui était jugé possible dans ce qui est, pour elles, un environnement hostile, celui de notre monde matériel quotidien. Une zone à usage général sera également créée pour accueillir plusieurs petites expériences qui se succéderont rapidement. Le ministère japonais de l'éducation, des sciences, des sports et de la culture (Monbusho), a annoncé que le projet "Antimatter Science" avait été sélectionné comme l'un des deux plus importants projets de recherche à réaliser à partir de 1998 et constituera la participation japonaise aux expériences sur le Décélérateur d'antiprotons pour lequel un crédit d'environ 10 millions de francs suisses sera débloqué.

Un peu plus d'un an à peine après l'annonce de la production des neuf premiers antiatomes au CERN (PR01.96) en janvier 1995, l'approbation du projet de Décélérateur d'antiprotons ouvre la voie à de nouvelles possibilités de recherches passionnantes pour les scientifiques du monde entier qui s'apprêtent à étendre notre connaissance de l'antimatière. Les questions posées sont fondamentales: Si, comme on le suppose, la matière et l'antimatière ont été produites en quantités égales lors du Big Bang, pourquoi notre Univers est-il constitué uniquement de matière? La gravité a-t-elle, sur l'antimatière, le même effet que sur la matière? Les réponses à ces questions pourraient être trouvées dans les résultats que produira le Décélérateur d'antiprotons.

1. Le CERN, Laboratoire européen pour la physique des particules, a son siège à Genève. Ses Etats membres sont les suivants: Allemagne, Autriche, Belgique, Danemark, Espagne, Finlande, France, Grèce, Hongrie, Italie, Norvège, Pays-Bas, Pologne, Portugal, la République slovaque, la République tchèque, Royaume-Uni, Suède et Suisse. La Fédération de Russie, Israël, le Japon, la Turquie, la Commission des Communautés européennes et l'UNESCO ont le statut d'observateur.