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Première production d'atomes d'antimatière au CERN

Genève, le 14 janvier 1996. En septembre 1995, le professeur Walter Oelert et une équipe internationale de scientifiques de l'IKP-KFA de Jülich, de l'université d'Erlangen-Nuremberg, du GSI de Darmstadt et de l'université de Gênes ont réussi pour la première fois à synthétiser des atomes d'antimatière à partir des antiparticules qui les constituent. Neuf de ces atomes ont été produits dans des collisions entre des antiprotons et des atomes de xénon sur une période de trois semaines. Chacun a subsisté pendant environ quarante milliardièmes de seconde en se déplaçant à une vitesse voisine de celle de la lumière sur une distance de dix mètres avant de s'annihiler au contact de la matière ordinaire. C'est cette annihilation qui a produit le signal apportant la preuve de la création des atomes d'antimatière.

Les atomes sont constitués d'un certain nombre d'électrons en orbite autour d'un noyau atomique. L'atome d'hydrogène est le plus simple de tous; son noyau se compose d'un proton autour duquel gravite un seul électron. La recette pour obtenir de l'antihydrogène est très simple: on prend un antiproton, on crée un anti-électron et on place ce dernier en orbite autour du premier - mais son exécution est très délicate, parce qu'il n'existe pas d'antiparticules à l'état naturel sur Terre; elles peuvent uniquement être créées en laboratoire. Les expérimentateurs ont fait tourbillonner des antiprotons, créés auparavant, autour de l'Anneau d'antiprotons de basse énergie (LEAR) du CERN1, en leur faisant traverser un jet de gaz xénon à chacun de leur passage, soit environ trois millions de fois par seconde (voir diagramme de l'expérience). Il est arrivé alors, très occasionnellement, qu'un antiproton convertisse une petite fraction de son énergie sous la forme d'un électron et d'un anti-électron, appelé ordinairement positon, en traversant un atome de xénon. Il est arrivé aussi, encore plus rarement, que la vitesse du positon soit suffisamment proche de celle de l'antiproton pour que les deux particules s'unissent et qu'un atome d'antihydrogène soit ainsi créé (voir principe de l'expérience).

Les trois quarts de notre Univers sont constitués d'hydrogène et une bonne part de ce que nous savons de lui, nous l'avons découvert en étudiant l'hydrogène ordinaire. Si le comportement de l'antihydrogène venait à différer, si peu que ce fût, de celui de l'hydrogène ordinaire, les physiciens devraient repenser ou abandonner un grand nombre des idées établies sur la symétrie entre la matière et l'antimatière. On raconte que c'est l'observation de la chute d'une pomme qui serait à l'origine des travaux historiques de Newton sur la gravité, mais est-ce qu'une "antipomme" tomberait de la même manière? On pense que l'antimatière "fonctionne", sous l'action de la gravité, de la même manière que la matière, mais si la Nature en a décidé autrement, il nous appartient de découvrir comment et pourquoi.

La prochaine étape consistera à vérifier si l'antihydrogène "fonctionne" bien comme l'hydrogène ordinaire. Il est possible de faire des comparaisons d'une précision incroyable, atteignant le milliardième de milliard, et même une asymétrie à cette échelle infime aurait d'énormes conséquences sur notre compréhension de l'Univers. Pour vérifier cette asymétrie, il faudrait immobiliser les antiatomes pendant un certain nombre de secondes, de minutes, de jours ou même de semaines. Les techniques requises pour stocker de l'antimatière font l'objet de travaux de développement intensifs au CERN. On envisage actuellement de nouvelles expériences visant à capturer l'antimatière dans des bouteilles ou des pièges magnétiques et électriques permettant une analyse de précision.

La toute première création d'atomes d'antimatière au CERN a ouvert la porte à l'exploration systématique de l'antimonde.

1. Le CERN, Laboratoire européen pour la physique des particules, a son siège à Genève. Ses Etats membres sont les suivants: Allemagne, Autriche, Belgique, Danemark, Espagne, Finlande, France, Grèce, Hongrie, Italie, Norvège, Pays-Bas, Pologne, Portugal, République slovaque, République tchèque, Royaume-Uni, Suède et Suisse. La Fédération de Russie, Israël, Japon, la Turquie, la Commission des Communautés européennes et l'UNESCO ont le statut d'observateur.