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The LHC, un projet mondial

Genève, le 17 juin 1994. Depuis le milieu des années 80, le nombre de scientifiques du monde entier utilisant les installations du CERN1 s'est énormément accru. Actuellement, plus de 6000 utilisateurs, soit plus de la moitié des physiciens expérimentateurs des hautes énergies de la planète, s'occupent de recherche fondamentale au CERN. Cette communauté d'utilisateurs, venue de toutes les parties du monde, est la preuve vivante que le CERN encourage la collaboration interrégionale qui sert l'intérêt général et stimule le progrès scientifique. Le LHC, seule machine capable d'attaquer des problèmes bien au-delà des frontières actuelles de la physique des hautes énergies, offre une occasion unique d'élargir la collaboration à l'ensemble du globe. La porte est ouverte à la participation d'Etats non-membres à la conception finale, à la construction et à l'exploitation de la machine LHC et de ses expériences. L'instance suprême du CERN, le Conseil, accueille favorablement l'idée de donner voix au chapitre dans le processus de décision sur le LHC à des pays apportant des contributions importantes. Cette 'mondialisation' du projet LHC créerait un précédent pour les futurs projets de mégascience non seulement en physique de hautes énergies mais aussi dans d'autres domaines.

Tout en se félicitant de l'intérêt suscité dans le monde par le projet LHC, le Conseil a souhaité que la participation de physiciens d'Etats non-membres se réalise"étant entendu que l'utilisation à grande échelle des installations du CERN doit s'accompagner d'un apport de ressources au projet" acceptable à la fois pour le CERN et les Etats non-membres concernés. Il s'agirait d'une entorse au principe du 'libre accès' suivi aujourd'hui par le CERN et qui avait été établi par le Comité internationale sur les futurs accélérateurs (ICFA). Cette politique reposait sur l'espoir d'une utilisation réciproque à peu près équilibrée des installations dans le monde, ce qui n'est actuellement plus le cas. C'est ainsi que les physiciens des particules américains effectuant des recherches en Europe, au CERN, à DESY, Hambourg, et au Gran Sasso, Italie, sont considérablement plus nombreux que les physiciens des particules européens travaillant aux Etats-Unis d'Amérique.

A la suite de l'annulation du projet de supercollisionneur supraconducteur (SSC) aux USA, le réservoir de compétences et d'expérience scientifiques, constitué par les participants à ce projet, pourrait mis à profit pour irriguer le CERN. Au début de cette année, un sous-comité spécial du Comité consultatif sur la physique des hautes énergies des USA (HEPAP), présidé par Sidney Drell, Directeur adjoint du Centre de l'accélérateur linéaire de Stanford, a été chargé d'examiner les possibilités d'avenir pour la physique des particules aux USA et la collaboration internationale après cette annulation du SSC. Le sous-comité a remis son rapport à la fin de mai, après quoi HEPAP a adressé des recommandations au ministre de l'énergie, Hazel O'Leary, en temps utile pour qu'elle puisse proposer des mesures au Congrès au début de juillet 1994.

Dans son rapport, diffusé le 23 mai, le sous-comité déclare que le LHC ouvre la porte à des découvertes aux frontières ultimes de l'énergie et conclut qu'il est essentiel que les USA y participent, non seulement pour donner aux scientifiques et ingénieurs américains une expérience de valeur mondiale mais aussi pour maintenir les Etats-Unis à l'avant-garde des technologies d'accélération des protons dans le long terme. Le sous-comité recommande que "le Gouvernement des Etats-Unis d'Amérique exprime son intention de se joindre aux autres nations pour construire le LHC au CERN et entame des négociations dans ce but". Il prévoit un démarrage lent des dépenses américaines au titre des travaux liés au LHC en 1995 puis une augmentation avec une contribution totale substantiel à l'époque où le LHC sera construit. Il s'agirait en partie de contributions en nature, par exemple à la fabrication des aimants et détecteurs. La recommandation s'accompagne d'une demande de crédits d'investissement supplémentaires à court terme dans les installations nationales des Etats-Unis mais le LHC est jugé suffisamment important pour qu'une participation à son financement soit assurée même si le budget de la physique des hautes énergies reste constant. Une des clés d'une collaboration fructueuse sera un accord rapide sur les conditions, de façon que les collaborateurs américains puissent apporter leurs compétences et faire valoir leurs intérêts spécifiques dans la phase de conception du LHC. Le CERN se réjouit de travailler en partenariat avec ses collègues des Etats-Unis comme il l'a fait avec tant de succès et de plaisir par le passé.

Au Canada aussi, de récentes décisions ont eu pour effet une révision des plans concernant les installations nationales de recherche en physique des particules, au profit d'un renforcement de la collaboration internationale. Le Gouvernement canadien a annoncé en mars l'abandon du projet Kaon qui aurait été une "usine à particules" s'appuyant sur une extension de TRIUMF (Tri-University Meson Facility) en Colombie britannique. La porte est donc ouverte à un r™le plus actif du Canada en physique des particules par le biais d'une collaboration avec le CERN pour le LHC.

Environ 80 physiciens japonais sont déjà enregistrés au CERN, ce qui indique que la coopération scientifique actuelle est excellente. Des projets communs de recherche et de développement sur des aimants supraconducteurs pour les accélérateurs ont été lancés entre le CERN et le laboratoire japonais KEK, et des contacts positifs se sont établis entre le CERN et le Gouvernement japonais. On s'attend cependant que le Japon se détermine au sujet de la participation seulement lorsque le Conseil aura pris la décision définitive de lancer la réalisation du LHC.

La Fédération de Russie a le statut d'observateur depuis 1991 et elle a manifesté en 1993 de l'intérêt pour une adhésion au CERN en tant que membre de plein exercice. Elle a signé récemment avec le CERN un accord de coopération scientifique et technologique qui fournie un cadre à un renforcement de la collaboration. Avec plus de 400 scientifiques enregistrés au CERN, la Fédération de Russie joue déjà un r™le important dans l'activité du Laboratoire. La Russie s'est aussi engagée à soutenir le projet du CERN de construire le LHC. Il est toutefois probable que la capacité de la Russie de participer pleinement restera limitée dans l'avenir immédiat par suite de difficultés économiques.

Il se peut que le LHC devienne la toute première initiative scientifique mondiale. En plus des pays susmentionnés, avec lesquels les discussions sont déjà bien avancées, des accords ont été conclus avec l'Inde et Israël. Plusieurs autre pays comme l'Australie, la Chine, le Brésil, le Pakistan et d'autres s'intéressent aussi à une collaboration au LHC. La création du CERN dans les années d'après-guerre a créé un précédent en unissant des pays d'Europe en vue d'une recherche de haute qualité dans le domaine de la science lourde. Le LHC offre maintenant la possibilité passionnante d'établir dans ce domaine le modèle d'une future collaboration mondiale.

1. Le CERN, Laboratoire européen pour la physique des particules, a son siège à Genève. Ses Etats membres sont les suivants: Allemagne, Autriche, Belgique, Danemark, Espagne, Finlande, France, Grèce, Hongrie, Italie, Norvège, Pays-Bas, Pologne, Portugal, la République slovaque, la République tchèque, Royaume-Uni, Suède et Suisse. La Fédération de Russie, Israël, la Turquie, la Yougoslavie (le statut d'observateur est suspendu après l'embargo de l'ONU, juin 1992), la Commission des Communautés européennes et l'UNESCO ont le statut d'observateur.