Higgs10 Bulletin article - 7
(Image: CERN)

 

Depuis qu’il a été découvert en 2012, le boson de Higgs est devenu l’un des outils les plus puissants pour mettre à l’épreuve notre compréhension de la nature et, par la même occasion, tenter de percer certains des plus grands mystères actuels de la physique. Mais qu’avons-nous appris, nous scientifiques, sur cette particule au cours des dix dernières années ? 

Une particule scalaire existe dans la nature

Le 4 juillet 2012, tôt le matin, le hall extérieur de l’amphithéâtre principal du CERN ressemblait davantage à la file d’attente d’un concert de rock qu’au bâtiment principal du plus éminent laboratoire de physique des particules du monde. Des dizaines d’étudiants, les traits tirés, sortaient lentement de leurs sacs de couchage et s’étiraient après une longue nuit passée à même le sol. Une file d’une centaine de personnes serpentait dans le hall, autour du restaurant, jusqu’à la porte. L’excitation était palpable. Même si la probabilité de réussir à entrer dans l’amphithéâtre était très faible, le simple fait d’être là était déjà incroyable. Nous l’avions trouvée. Une particule scalaire existait dans la nature. En ce 4 juillet 2012, elle faisait son entrée en scène.

Elle est lourde et éphémère

Les premières mesures de la nouvelle particule scalaire, la particule H(125), reposaient sur deux canaux d’expériences : les désintégrations en 4 leptons et les désintégrations en 2 photons. Bien que ces canaux de désintégration ne soient pas les plus abondants, ils sont les plus appropriés pour déterminer la masse de la particule scalaire. La masse mesurée, d’environ 125 GeV, est extrêmement intéressante : elle est bien plus importante que prévu pour les modèles de supersymétrie les plus fréquemment utilisés, elle place l’Univers dans une position précaire (à la lisière entre un Univers stable et un Univers instable) et sa phénoménologie est très riche. Bien que la masse de cette particule soit élevée, sa durée de vie est très courte : elle disparaît en 10-22 seconde.

Elle n’a pas de charge électrique et a un spin nul

La découverte de la particule H(125) grâce à sa désintégration en deux photons a immédiatement permis d’établir que cette nouvelle particule n’était pas chargée. La probabilité que son spin soit égal à 1 était par ailleurs très faible. Pour déterminer avec précision son spin, les scientifiques examinent notamment les distributions angulaires des produits finaux des désintégrations en deux protons, deux bosons W et deux bosons Z. L’hypothèse du spin nul a résisté face à une multitude d’autres possibilités.

Elle interagit avec d’autres bosons

Il est possible d’étudier l’interaction du nouveau boson avec d’autres particules en observant la manière dont il se désintègre et dont il est produit. La particule H(125) ayant été découverte grâce à ses désintégrations en deux photons et deux bosons Z, il était facile de conclure qu’elle se couple à des bosons (indirectement, dans le cas des photons). Cela a été confirmé par la suite au moyen de mesures des désintégrations en deux bosons W. La production de la particule H(125) est par ailleurs mesurée via des couplages à des bosons lorsque deux bosons vecteurs, qui sont porteurs de force, comme les bosons W et Z, fusionnent pour produire la particule scalaire ou lorsque la particule scalaire irradie à partir d’un boson lourd (la « production V+H »).

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Mesures de l'intensité d'interaction entre le H(125) et certaines particules du modèle standard. La ligne rouge représente les prévisions du modèle standard. Les dernières recherches ont permis d’étudier les interactions avec les fermions de deuxième génération, comme le muon, et d’obtenir de premiers résultats concernant les quarks charmants. (Image: ATLAS)

Elle interagit avec les fermions

Selon le Modèle standard (MS), la force de couplage de la particule H(125) avec les autres particules est proportionnelle à leur masse. L’étude des fermions met ces couplages à l’épreuve sur trois générations de fermions, dont la masse s’étend sur trois ordres de grandeur. Pour les fermions les plus lourds, tous les couplages ont été mesurés, par rapport aux quarks top (en mesurant la production de ttH), aux quarks beauté et aux leptons tau. À présent, les expériences font face à un nouveau défi, à savoir atteindre la deuxième génération, dont le couplage avec le boson de Higgs est plus faible. Alors qu’apparaissent les premiers indices de désintégrations en muons, les expériences ATLAS et CMS affinent leur compréhension des désintégrations en quarks charme.

Elle pourrait être une porte d’accès vers la matière noire

Si la matière noire est composée d’une ou de plusieurs particules élémentaires, le Modèle standard n’en prédit tout simplement aucune. La désintégration du boson de Higgs en particules invisibles pourrait être une signature possible d’éventuelles interactions entre la particule H(125) et les particules de matière noire. Ces désintégrations sont, selon certaines études, de l’ordre de 15 % maximum, ce qui fixe des limites aux interactions entre le boson de Higgs et de possibles particules de matière noire, ainsi qu’aux modèles qui les prédisent. Selon le Modèle standard, le rapport d’embranchement de la désintégration du boson de Higgs en quatre neutrinos est de 0,1 % seulement.

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Limites à la production de paires de bosons de Higgs, un processus qui est sensible à l'auto-interaction du boson de Higgs et à la forme du potentiel du Higgs. Les résultats sont présentés en fonction du temps, avec des projections de l'ensemble des données du HL-LHC qui devraient fournir une précision suffisante pour remettre en question les prédictions du modèle standard (ligne horizontale rouge). (Image: CMS)

 

 

Elle pourrait permettre de mieux comprendre la structure de l’Univers

Grâce à l’inclusion du mécanisme de Brout-Englert-Higgs dans le Modèle standard, il est possible de prédire de manière précise la manière dont l’Univers a évolué dans ses tout premiers instants, à savoir lors de l’ère électrofaible. Un champ scalaire peut influencer divers aspects de la cosmologie et même jouer un rôle dans l’asymétrie matière-antimatière observée dans l’Univers. En fonction de la forme du potentiel du champ de Higgs, l’Univers pourrait être métastable et se désintégrer. Pour étudier cette forme, on peut notamment mesurer les différentes interactions de la particule H(125) avec elle-même. L’une des signatures pouvant être utilisée pour accéder à cette « auto-interaction » est la production de paires de bosons de Higgs. Même si les analyses existantes des données du LHC ont déjà permis d’exclure certaines possibilités hors Modèle standard, il sera possible, avec une plus grande quantité de données et de futurs accélérateurs, comme les usines à Higgs, d’approfondir nos connaissances dans ce domaine crucial.

Elle semble être enfant unique

S’agissant des particules scalaires, le Modèle standard est minimaliste : il prédit une seule particule scalaire élémentaire avec deux types d’interactions distincts. Les extensions directes du Modèle standard minimal prédisent plus d’un boson de Higgs, ce qui génèrerait différents systèmes d’interactions. C’est la raison pour laquelle un programme dynamique de recherches portant sur d’autres bosons de Higgs a été lancé. Il porte sur des bosons plus légers et plus lourds, neutres, chargés et doublement chargés. Les autres possibilités étant très limitées, la particule H(125) est actuellement la seule particule scalaire connue dans la nature.

Un nouvel arrivant pour défier le Modèle standard

Le boson de Higgs est le dernier à avoir rejoint l’équipe de particules que nous utilisons pour comprendre la nature de l’Univers. L’asymétrie matière-antimatière, la matière noire, l’unification de toutes les forces : voici quelques-unes des questions pour lesquelles une étude plus cohérente et plus précise des propriétés des particules, telles que les bosons Z et W, les quarks beauté et top, et maintenant la particule H(125), permettrait d’explorer des gammes d’énergie bien supérieures à celles directement accessibles au moyen des collisionneurs. Une possibilité serait d’étendre le Modèle standard en ajoutant les interactions génériques représentant l’effet des particules et les interactions hors de la portée directe des collisionneurs actuels. En utilisant de manière cohérente l’ensemble des informations concernant la particule H(125) et ses coéquipières, il est possible que nous nous orientions vers un nouveau modèle standard.

Et ce n’est là qu’un début

Nous avons identifié plusieurs propriétés et interactions de la particule H(125). Toutefois, il reste encore beaucoup à découvrir sur le boson de Higgs. Avoir découvert la particule H(125), dernière prédiction du Modèle standard, et étudier ses caractéristiques singulières en tant que particule scalaire, sont importants pour approfondir notre compréhension de la nature à son niveau le plus élevé. Existe-t-il réellement un seul type de boson de Higgs dans la nature ? Ses propriétés diffèrent-elles de celles prédites par le Modèle standard ? Peut-il nous montrer ce qui se trouve au-delà de l’échelle électrofaible ? Pourrait-il interagir avec les particules de matière noire ? Serons-nous capables de l’utiliser pour mesurer la forme du potentiel du vide de l’Univers ?

Il y a dix ans, avant la découverte de cet outil formidable, ces questions étaient hors de portée. La particule H(125) a ouvert de nouvelles portes d’accès et nous invite à les franchir.