View in

English

ALICE cerne les propriétés de l'hypermatière

Une étude récente, portant sur un noyau instable « étrange » appelé « hypertriton », ouvre de nouvelles perspectives sur des interactions qui pourraient avoir lieu au cœur des étoiles à neutrons

|

ALICE doors opening closing during LS2 in 2020
Le détecteur d'ALICE (Image: CERN)

La collaboration internationale ALICE auprès du Grand collisionneur de hadrons (LHC) a récemment publié les mesures les plus précises jamais obtenues de deux propriétés d'un hypernoyau. Ces résultats pourraient donner de précieuses indications sur la composition du cœur des étoiles à neutrons.

Les collisions à haute énergie entre des ions lourds ou des protons qui ont lieu au LHC produisent fréquemment des noyaux atomiques et leurs équivalents en antimatière, les antinoyaux. Moins fréquemment, mais tout de même régulièrement, ces collisions produisent des hypernoyaux, qui sont des noyaux instables. Contrairement aux noyaux ordinaires, constitués uniquement de protons et de neutrons (c'est-à-dire de nucléons), les hypernoyaux sont également composés d'hypérons, particules instables contenant des quarks dits « étranges ».

Près de 70 ans après avoir été observés pour la première fois dans des rayons cosmiques, les hypernoyaux continuent de fasciner les chercheurs car ils sont rarement produits dans la nature et, bien qu'ils soient communément créés et étudiés dans le cadre d'expériences en physique nucléaire des basses énergies, il est extrêmement difficile de mesurer leurs propriétés.

Au LHC, les hypernoyaux sont créés en quantités significatives lors de collisions entre ions lourds. Toutefois, pour l'heure, seul l'hypernoyau le plus léger, l'hypertriton, a pu être observé au collisionneur. L’hypertriton est composé d'un proton, d'un neutron et d'un lambda, hypéron contenant un quark étrange.

Dans le cadre de sa nouvelle étude, l'équipe d'ALICE a analysé un échantillon d'environ mille hypertritons, produits lors des collisions plomb-plomb ayant eu lieu durant la deuxième période d'exploitation du LHC. Une fois créés lors de ces collisions, les hypertritons accomplissent un parcours de quelques centimètres qui les fait pénétrer dans ALICE, puis se désintègrent en deux autres particules, un noyau d'hélium-3 et un pion chargé, que les détecteurs d'ALICE peuvent détecter et identifier. L'équipe d'ALICE a étudié ces deux particules et les traces qu'elles laissent dans les détecteurs.

En analysant cet échantillon d'hypertritons, l'un des plus grands qui soient, les chercheurs ont pu obtenir les mesures les plus précises jamais réalisées de deux propriétés de l'hypertriton : sa durée de vie (c'est-à-dire le temps qui s’écoule avant sa désintégration) et l'énergie requise pour séparer son hypéron, le lambda, des autres constituants de la particule.

Ces deux propriétés sont essentielles pour comprendre la structure interne de l'hypernoyau et, par conséquent, la nature de la force forte qui fait tenir ensemble les nucléons et les hypérons. L'étude de cette force est intéressante en en elle-même, mais elle peut également ouvrir des perspectives sur les interactions entre particules qui pourraient avoir lieu dans le cœur des étoiles à neutrons. Selon les prédictions, ces cœurs, très denses, auraient tendance à favoriser la production d’hypérons par rapport à la production de matière purement nucléonique.

Measurements of the hypertriton’s lifetime performed with different techniques over time, including ALICE’s new measurement (red). The horizontal lines and boxes denote the statistical and systematic uncertainties, respectively. The dashed-dotted lines represent different theoretical predictions. (Image: ALICE collaboration)
Mesures de la durée de vie de l'hypertriton réalisées avec des techniques différentes au fil du temps, y compris les nouvelles mesures d'ALICE (en rouge). Les lignes horizontales et les rectangles représentent respectivement les incertitudes statistiques et systématiques. Les lignes en pointillé représentent différentes prédictions théoriques. (Image : Collaboration ALICE)

 

Les nouvelles données mesurées par ALICE indiquent que l'interaction entre l'hypéron de l'hypertriton et ses deux nucléons est extrêmement faible : l'énergie de séparation du lambda ne s'élève qu'à quelques dizaines de kiloélectronvolts, énergie similaire à celle des rayons X utilisée en imagerie médicale, et la durée de vie de l'hypertriton est compatible avec celle du lambda non lié.

En outre, étant donné que la matière et l'antimatière sont produites en quantité presque égale au LHC, la collaboration ALICE a également été en mesure d'étudier des antihypertritons et de déterminer leur durée de vie. L'équipe a découvert que, dans les limites de l'incertitude des mesures de l'expérience, l'antihypertitron et l'hypertriton ont la même durée de vie. La découverte d'une différence, même infime, entre les durées de vie de ces deux particules serait synonyme d'une brisure d’une symétrie fondamentale de la nature : la symétrie CPT.

Grâce aux données récoltées durant la troisième période d'exploitation du LHC, qui a véritablement démarré en juillet 2022, ALICE pourra approfondir son étude sur les propriétés de l'hypertriton, mais elle poursuivra également ces recherches en y intégrant des hypernoyaux plus lourds.