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AEgIS en bonne voie pour tester la chute libre d’antimatière

Une technique innovante de production d’atomes d’antihydrogène marque une nouvelle étape pour évaluer l’influence de la gravité sur l’antimatière

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AEgIS antihidrogen production trap
L'expérience AEgIS est construite autour de deux puissants solénoïdes supraconducteurs. (Image: CERN)

La matière tombe sous l’effet de la gravité : cette loi fondamentale de la physique est connue de tous, même des moins scientifiques d’entre nous. Mais qu’en est-il de l’antimatière, dont la masse est identique à celle de la matière, mais dont la charge électrique et le spin sont opposés ? Selon la théorie de la relativité générale d’Einstein, la gravité devrait s’appliquer de la même manière à la matière et à l’antimatière. Trouver la moindre différence dans la mesure de leur chute libre bouleverserait ainsi considérablement l’état de nos connaissances. Tandis que la chute libre de la matière a été mesurée avec une précision de l’ordre de 1 pour 100 000 milliards, aucune mesure directe n’a à ce jour été effectuée sur de l’antimatière, en raison de la difficulté d’en produire et d’en stocker en grandes quantités.

Dans un article publié récemment dans la revue Communications Physics, la collaboration AEgIS au Décélérateur d’antiprotons (AD) du CERN rapporte avoir franchi une étape importante sur cette voie. En utilisant de nouvelles techniques développées en 2018, l’équipe d’AEgIS a démontré la production pulsée d’atomes d’antihydrogène, ce qui permet de déterminer avec une grande précision l’instant de la formation des antiatomes.

« C’est la première fois que la formation pulsée d’antihydrogène a pu être réalisée sur d’aussi brefs intervalles de temps, permettant ainsi la manipulation simultanée, au moyen de lasers ou de champs externes, des atomes formés, et ouvrant la possibilité d’appliquer cette même méthode à la formation pulsée d’autres atomes antiprotoniques », explique Michael Doser, porte-parole d’AEgIS au CERN. « Connaître l’instant de la formation de l’antihydrogène est une indication précieuse. »

Le CERN est le seul endroit au monde où l’antihydrogène peut être produit et étudié avec précision. L’antihydrogène, qui a une longue durée de vie et qui est électriquement neutre, est idéal pour tester la chute libre gravitationnelle et d’autres propriétés fondamentales de l’antimatière. La première production d’antihydrogène de basse énergie, que les collaborations ATHENA et ATRAP auprès de l’AD ont rapportée en 2012, nécessitait la recombinaison à trois corps de nuages d’antiprotons et de positons. Depuis, les progrès constants réalisés par la collaboration ALPHA auprès de l’AD, en termes de production, de manipulation et de piégeage de quantités d’antihydrogène toujours plus importantes, ont permis de déterminer, avec une extrême précision, les propriétés spectroscopiques, entre autres, de l’antimatière.

Tandis que la recombinaison à trois corps produit une source d’antihydrogène quasi continue, dans laquelle il n’est pas possible d’établir l’instant de la formation des antiatomes, l’expérience AEgIS fait appel à un autre procédé d’échange de charge consistant à déclencher la formation des atomes d’antihydrogène grâce à une certaine impulsion laser bien précise. Il est ainsi possible de déterminer l’instant où sont produits 90 % des atomes avec une incertitude d’environ 100 ns.

Plusieurs étapes additionnelles sont nécessaires avant qu’AEgIS ne puisse mesurer l’influence de la gravité sur l’antimatière ̶ notamment la formation d’un faisceau pulsé, la production de plus grandes quantités d’antihydrogène et la capacité de refroidir davantage l’antihydrogène. « Avec seulement trois mois de temps de faisceau cette année, et beaucoup de nouveaux équipements à mettre en service, 2022 sera très probablement l’année où nous établirons la formation de faisceaux pulsés  ̶  condition préalable pour pouvoir mesurer la gravité », explique Michael Doser.

À la suite d’une évaluation de démonstration de principe réalisée par la collaboration ALPHA en 2013, les expériences ALPHA, AEgIS et GBAR  ̶  une autre expérience menée auprès de l’AD  ̶  prévoient, dans les années à venir, de mesurer la chute libre des antiatomes avec une précision de l’ordre de 1 %. Elles utilisent chacune des techniques différentes et ont récemment été raccordées au nouveau synchrotron ELENA, qui permet de produire des antiprotons de très basse énergie.

Étant donné que la quasi-totalité de la masse des antinoyaux réside dans l’énergie des interactions fortes, qui lient les quarks entre eux, les scientifiques estiment qu’il est peu probable que l’antimatière subisse une force gravitationnelle opposée à celle de la matière. Néanmoins, des mesures précises de la chute libre des antiatomes pourraient révéler de subtiles différences susceptibles d’ouvrir une brèche importante dans nos connaissances actuelles.

Lisez le CERN Courier sur ce sujet (en anglais).