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Projet PUMA : l’antimatière prend la route

Un nouveau projet européen associant ELENA et ISOLDE va piéger l'antimatière afin d'explorer les phénomènes quantiques dans les noyaux radioactifs.

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The PUMA project: Antimatter goes nomad

Le voyage de l'antimatière entre les installations ELENA et ISOLDE (Image: CERN)

Extrêmement fragile, l’antimatière s'annihile instantanément au contact de la matière. Elle a pu néanmoins être stockée au CERN dans le cadre de différentes expériences. L'expérience BASE, par exemple, a récemment réussi à conserver, sans aucune perte, quelques antiprotons pendant plus d'une année - une durée record. Un nouveau projet européen se propose à présent de stocker un milliard d'antiprotons pendant plusieurs semaines, ce qui permettrait de les transporter.  Pour la première fois, de l'antimatière prendra la route pour un court trajet d’une expérience du CERN à une autre.  Mais pourquoi transporter de l'antimatière si elle est si vulnérable ?

C'est à Alexandre Obertelli, un physicien de l'Université technique de Darmstadt, que l'on doit cette idée, sur laquelle il travaille depuis deux ans.  Intitulé PUMA (antiProton Unstable Matter Annihilation), ce projet vise à explorer les nouveaux phénomènes quantiques qui pourraient se dégager des interactions à basse énergie entre des antiprotons et des noyaux exotiques lents.  Pour ce faire, les scientifiques doivent piéger de l'antimatière et la transporter jusqu'à une installation qui fournit des faisceaux d’ions radioactifs.  Ce projet jette ainsi un pont entre l'expérience GBAR auprès d'ELENA, qui produit des antiprotons, et ISOLDE, qui fournit le piège avec les noyaux à faible durée de vie.

ELENA,Accelerators
Schéma du piège en cours d'élaboration (Image: Alexandre Obertelli)

Un piège spécialement conçu, d'une longueur d'environ 70 cm et comportant deux zones distinctes, sera logé à l'intérieur d'un aimant solénoïde supraconducteur pesant une tonne. Il servira à préserver le nuage d'antimatière pendant le transport et à le stocker sur la longue durée.  Un grand nombre d'antiprotons seront conservés dans la zone de stockage à une température cryogénique de 4 K, tandis que les interactions auront lieu dans la zone de collision du dispositif.  Les deux parties du piège devront être maintenues dans un vide extrême de 10-17 mbar, c'est-à-dire 100 000 fois plus poussé que le vide du LHC.  Une fois prête, toute la structure sera amenée, par un trajet de quelques centaines de mètres le long de la route Einstein, jusqu'au site de l'expérience ISOLDE.

Le projet comprend trois phases.  D'abord, 109 (un milliard) d'antiprotons seront collectés auprès de l'installation ELENA et stockés dans le piège.  Ensuite, le dispositif contenant les antiprotons refroidis sera chargé sur un camion et transporté jusqu'à l'installation ISOLDE.  Enfin, une fois arrivé à destination, il recevra les noyaux exotiques lents, qui seront introduits dans le piège à antimatière par une ouverture extrêmement fine. Le processus d’annihilation, qui est ultra-rapide, sera observé de près.  En outre, en mesurant la charge des pions émis, il sera possible d'analyser le taux d'annihilation des protons comparé à celui des neutrons.

Dans les années 1970 à Brookhaven et, plus tard, également auprès du LEAR du CERN, des chercheurs ont utilisé des antiprotons pour analyser la matière comportant des noyaux stables.  Les résultats de cette nouvelle expérience devraient prouver l'existence de nouveaux halos de protons et de neutrons. Ils devraient également permettre d'étudier l'apparition d'épaisses « peaux » de neutrons dans les noyaux radioactifs, et fournir ainsi des informations précieuses concernant des phénomènes quantiques inexplorés révélant la nature complexe de la matière nucléaire. 

« Ce projet pourrait contribuer à démocratiser l'usage de l'antimatière », affirme Alexandre Obertelli.  Il prévoit de développer le solénoïde, le piège et le processus de détection au cours des deux prochaines années, les premières collisions étant prévues au CERN en 2022.

Alexandre Obertelli a reçu une bourse de consolidation du Conseil européen de la recherche et le projet PUMA, d'une durée de cinq ans, a été lancé en janvier.  Conjointement avec des chercheurs de RIKEN au Japon et de CEA SACLAY et IPN Orsay en France, il a adressé une lettre d'intention aux Comité des expériences SPS et PS du CERN (SPSC) pour que PUMA puisse devenir une expérience du CERN à part entière.