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Comment entraîner vos aimants

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LHC magnets in the tunnel
Les aimants du LHC entourent le tube du faisceau sur ses 27 km de circonférence. (Image: CERN)

Lorsque commencera la troisième période d’exploitation du Grand collisionneur de hadrons (LHC) l’an prochain, l’objectif sera de porter l’énergie des faisceaux de protons au niveau record de 6,8 TeV. Pour cela, les milliers d’aimants supraconducteurs qui produisent les champs magnétiques servant à guider les faisceaux sur leur trajectoire doivent se familiariser avec des courants bien plus intenses, et ce après une longue période d’inactivité durant le LS2. Un processus d’« entraînement des aimants » doit donc être mis en place.

Matteo Solfaroli, du groupe Opérations du LHC, supervise la coordination de la mise en service du matériel pour le LHC. Sa tâche consiste à entraîner chaque chaîne d’aimants (appelée circuit), en les portant progressivement à leur intensité nominale. « C’est un projet de grande envergure car le LHC compte environ 1600 circuits supraconducteurs, dont les intensités nominales vont de 60 ampères à 13 kiloampères, explique Matteo. Ce sont de très grands circuits, et nous devons tous les tester individuellement, cela représente environ 12 000 tests. »

Si les aimants n’étaient pas soumis à un entraînement, lorsqu’ils sont traversés par des courants de haute intensité, il se produirait de façon aléatoire un phénomène appelé « transition résistive (“ quench ”) », au cours duquel une petite section de l’enroulement de l’aimant surchauffe. La conception des aimants fait que la chaleur est distribuée sur la totalité de l’aimant, ce qui empêche l’enroulement de brûler. Cependant, ce processus a pour effet de réchauffer l’aimant et certains des aimants voisins, ce qui les fait monter à une température dépassant la température critique, ils deviennent alors très résistifs et sont incapables de fournir le champ magnétique nécessaire.

Après une transition résistive, l’aimant doit être refroidi à nouveau pour retrouver des conditions cryogéniques, ce qui permet d’y faire passer à nouveau un courant. L’équipe chargée des tests de mise sous tension répète le processus, en augmentant l’intensité, jusqu’à ce que les aimants puissent supporter leur courant nominal sans transition résistive.

Cette méthode fonctionne grâce à la « mémoire » des aimants. « L’aimant s’adapte à la nouvelle intensité », précise Matteo Solfaroli. Le principe est similaire à celui de tout autre type d’entraînement : si vous pratiquez la course à pied, vous savez qu’à chaque séance vous serez capable de courir en continu plus longtemps, jusqu’au stade où vous n’aurez plus besoin de vous arrêter ; la mémoire musculaire augmente l’endurance. De la même façon, la mémoire des aimants augmente leur endurance, leur permettant ainsi de supporter des intensités élevées sans transition résistive pendant des périodes prolongées.

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Intensité du courant dans un circuit principal de dipôles durant l'entraînement. La pente constante correspond à la montée en courant graduelle, et la décroissance exponentielle représente l'arrêt sécurisé du courant lorsque le système de protection détecte une transition résistive. (Image: équipe chargée des tests de mise sous tension/CERN)

 

Les huit plus grands circuits d’aimants dipôles du LHC doivent pouvoir supporter un courant de 11 500 ampères. « Le problème, c’est que les phénomènes de transition résistive peuvent se produire dans n’importe lequel des aimants, déclare Matteo Solfaroli.Pour les petits circuits, la transition résistive n’est pas problématique, car la récupération est rapide. Mais pour les circuits de dipôles principaux la récupération va durer de huit à douze heures. »

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Aperçu des transitions résistives dans le CCC – les blocs en vert représentent les aimants aux conditions nominales et les blocs en rouge les aimants qui ont déclenché le système de protection contre les transitions résistives. (Image: équipe chargée des tests de mise sous tension/CERN)

 

L’ensemble du processus, à savoir montée en intensité progressive pour chaque circuit, transition résistive, refroidissement, ce cycle étant répété à plusieurs reprises, prend beaucoup de temps. Si l’on ajoute à cela tous les autres tests et processus, la préparation de l’aimant peut prendre huit à neuf mois – à peu près comme la préparation à un marathon.

L’équipe chargée des tests de mise sous tension prévoit que les aimants auront terminé leur entraînement d’ici la fin de l’année.