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De nouveaux résultats de l’expérience ALICE révèlent des phénomènes inédits dans certaines collisions de protons

Dans un article publié aujourd’hui dans la revue Nature Physics, la collaboration ALICE rapporte que les collisions de protons présentent parfois des motifs similaires à ceux observés dans les collisions de noyaux lourds.

Experiments and TracksProduction élevée de hadrons multi-étranges dans des collisions proton-proton de haute multiplicité mesurées avec l’expérience ALICE. (Image: CERN)

 

Genève, le 24 avril 2017. Dans un article publié aujourd’hui dans la revue Nature Physics, la collaboration ALICE rapporte que les collisions de protons présentent parfois des motifs similaires à ceux observés dans les collisions de noyaux lourds. Ce comportement a été remarqué lors de l’observation de hadrons dits « étranges » dans certaines collisions de protons où un grand nombre de particules sont créées. Les hadrons étranges sont des particules bien connues, appelées kaons, lambdas, xis ou encore omégas, et contenant toutes au moins un quark étrange. Le phénomène de « production accrue de particules étranges » observé est une caractéristique habituelle du plasma de quarks et de gluons, état de la matière très chaud et très dense qui existait quelques millionièmes de seconde après le Big Bang, et qui est généralement recréé lors de collisions de noyaux lourds. C’est cependant la première fois que ce phénomène est observé sans la moindre ambiguïté dans de rares collisions de protons qui aboutissent à la création de nombreuses particules. Ce résultat pourrait remettre en question les modèles théoriques existants qui ne prévoient pas une telle augmentation du nombre de particules étranges dans ces événements.

« Cette découverte est sensationnelle, se réjouit Federico Antinori, porte-parole de la collaboration ALICE. Nous en apprenons à nouveau beaucoup sur cet état extrême de la matière. La possibilité d’isoler ce phénomène associé au plasma quarks-gluons dans un système plus petit et plus simple, celui de la collision entre deux protons, ouvre une dimension entièrement nouvelle pour l’étude des propriétés de l’état primordial dont notre Univers est issu. »

La production accrue d’étrangeté est une manifestation du plasma de quarks et de gluons, et l’étude de cet état de la matière fournit un moyen d’étudier les propriétés de l’interaction forte, l’une des quatre forces fondamentales connues. Le plasma de quarks et de gluons se forme à des températures et des densités d’énergie suffisamment élevées pour que la matière ordinaire passe à une phase où les quarks et les gluons deviennent « libres » et ne sont donc plus confinés dans les hadrons. Ces conditions peuvent être obtenues auprès du Grand collisionneur de hadrons, lors de collisions entre des noyaux lourds à une énergie élevée. Les quarks étranges sont plus lourds que les quarks composant la matière ordinaire, et généralement plus difficiles à produire ; mais la densité d’énergie élevée du plasma de quarks et de gluons conduit à un rééquilibre en favorisant la création des quarks étranges par rapport à celle des quarks non étranges. Ce phénomène pourrait maintenant avoir été observé également dans des collisions de protons.

Plus précisément, les nouveaux résultats montrent qu’avec la « multiplicité » (le nombre de particules produites dans une collision donnée), le taux de production de ces hadrons étranges augmente plus rapidement que celui des autres particules créées lors de la même collision. En outre, alors que la structure du proton ne comprend pas de quarks étranges, les données montrent toutefois que plus le nombre de quarks étranges contenus dans l’hadron créé est élevé, plus la hausse de son taux de production est forte. Aucune dépendance par rapport à l’énergie de collision ou à la masse des particules créées n’a été décelée, ce qui indique que le phénomène observé est lié aux quarks étranges contenus dans les particules produites. En pratique, on calcule la production d’étrangeté en comptant le nombre de particules étranges produites dans une collision donnée et en déterminant la proportion de particules étranges par rapport aux non étranges.

Il avait été envisagé dès le début des années 1980 qu’une production accrue d’étrangeté puisse être une conséquence de la formation du plasma de quarks et de gluons ; le phénomène a ensuite été observé dans les années 1990 dans des collisions entre des noyaux, par des expériences auprès du Supersynchrotron à protons du CERN1. Une des autres signatures possibles du plasma de quarks et de gluons consiste en une corrélation spatiale entre les particules de l’état final, laquelle se traduit par un alignement préférentiel distinct, en forme de crête. D’abord détectée dans des collisions de noyaux lourds, cette crête a ensuite été observée dans des collisions de protons auprès du Grand collisionneur de hadrons ; il s’agissait des premiers indices selon lesquels certaines collisions de protons pourraient présenter des propriétés semblables à celles des collisions de noyaux lourds. Une étude plus précise de ces processus sera essentielle pour mieux comprendre les mécanismes microscopiques du plasma de quarks et de gluons ainsi que le comportement collectif des particules dans les petits systèmes.

L’expérience ALICE a été optimisée pour étudier les collisions de noyaux lourds. Elle étudie également les collisions proton-proton, qui lui fournissent principalement des données de référence pour les collisions de noyaux lourds. Les mesures rapportées ont été réalisées à partir des collisions de protons, à une énergie de 7 TeV, de la première exploitation du LHC.

1. Le CERN, Organisation européenne pour la Recherche nucléaire, est l’un des plus éminents laboratoires de recherche en physique des particules du monde. Située de part et d’autre de la frontière franco-suisse, l’Organisation a son siège à Genève. Ses États membres sont les suivants : Allemagne, Autriche, Belgique, Bulgarie, Danemark, Espagne, Finlande, France, Grèce, Hongrie, Israël, Italie, Norvège, Pays-Bas, Pologne, Portugal, République tchèque, Roumanie, Royaume-Uni, Slovaquie, Suède et Suisse. Chypre et la Serbie sont États membres associés en phase préalable à l’adhésion. L’Inde, le Pakistan, la Turquie et l'Ukraine sont États membres associés. Les États-Unis d’Amérique, la Fédération de Russie, le Japon, le JINR, l’UNESCO et l’Union européenne ont actuellement le statut d’observateur.