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Le CERN émet un faisceau de neutrinos en direction du Gran Sasso

Genève, le 11 septembre 2006. Le CERN1 a envoyé sous terre un nouveau faisceau de neutrinos en direction du Laboratoire du Gran Sasso de l’INFN2, situé près de Rome, à quelque 730 km de distance. Cette expérience est la toute dernière contribution à la quête planétaire visant à appréhender la plus insaisissable des particules et à percer les secrets qu’elle recèle sur les origines et l’évolution de l'Univers. Pour célébrer le lancement du projet, une cérémonie a eu lieu aujourd’hui au Laboratoire du Gran Sasso, à laquelle étaient présents Fabio Mussi, ministre italien des universités et de la recherche, et Robert Aymar, directeur général du CERN.


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Deux interactions dans la matière du détecteur OPERA (Image: CERN)

Genève, le 11 septembre 2006. Le CERN1 a envoyé sous terre un nouveau faisceau de neutrinos en direction du Laboratoire du Gran Sasso de l’INFN2, situé près de Rome, à quelque 730 km de distance. Cette expérience est la toute dernière contribution à la quête planétaire visant à appréhender la plus insaisissable des particules et à percer les secrets qu’elle recèle sur les origines et l’évolution de l'Univers. Pour célébrer le lancement du projet, une cérémonie a eu lieu aujourd’hui au Laboratoire du Gran Sasso, à laquelle étaient présents Fabio Mussi, ministre italien des universités et de la recherche, et Robert Aymar, directeur général du CERN.

Ce derniera exprimé sa satisfaction : « La tradition du CERN dans le domaine de la physique des neutrinos remonte au début des années 60. » «  Ce nouveau projet, qui s’inscrit dans le prolongement de cette tradition, marquera le début d’une nouvelle étape, une étape passionnante qui nous permettra de mieux comprendre ces particules fugaces. »

Le faisceau du CNGS et les équipements d’expérimentation construits au Gran Sasso en vue d’étudier les interactions de neutrinos s’inscrivent dans un projet destiné à lever le voile sur le phénomène mystérieux de l’oscillation de ces particules.

Les neutrinos – les particules les plus abondantes de l’Univers après les photons – sont produits continuellement au cours des réactions nucléaires qui ont lieu au coeur des étoiles. Notre planète est constamment parcourue par leur flux : Une surface de la taille d’un ongle est traversée chaque seconde par 60 milliards de neutrinos. Ceux-ci interagissent si faiblement avec les autres particules qu'ils peuvent traverser toute forme de matière sans y laisser la moindre trace. En raison de cette particularité, les neutrinos sont extrêmement difficiles à détecter et les détecteurs conçus pour les étudier doivent être d’une extrême sensibilité. Les neutrinos se répartissent en trois familles : les neutrinos de l’électron, les neutrinos du muon et les neutrinos du tau. Les résultats d’expériences réalisées au moyen de neutrinos (cosmiques ou artificiels) montrent qu’ils ont la faculté de passer, ou « osciller », d’un type à un autre. Ce phénomène important tend à prouver que chaque type de neutrino a une masse et que les masses des trois types de neutrinos sont différentes.

« La confirmation que ces particules ont une masse jetterait la lumière sur certains des problèmes les plus cruciaux de la physique moderne, » explique Roberto Petronzio, président de l'INFN. « Elle pourrait par exemple contribuer à expliquer la fameuse asymétrie entre matière et antimatière, au profit de la matière dans l’Univers, malgré la ressemblance quasi parfaite de leurs interactions fondamentales. »

En raison du phénomène d’oscillation, un faisceau de neutrinos à l’origine homogène contiendra un autre type de neutrino s’il est détecté après un certain temps. Les expériences faites au Gran Sasso, qui utilisent le faisceau de neutrinos du CERN, devraient permettre de démontrer, en particulier, la transformation de neutrinos du muon en neutrinos du tau, phénomène qui n’a encore jamais été observé à ce jour. Le CERN ne produira que des neutrinos du muon, mais, après 2,5 millisecondes, lorsque le faisceau arrivera au Gran Sasso après avoir parcouru quelque 730 km, à une vitesse proche de celle de la lumière, les chercheurs devraient détecter un très petit nombre de neutrinos du tau. D'après certains calculs théoriques, pour des milliards de milliards de neutrinos du muon arrivant au Gran Sasso, on détectera seulement une quinzaine de neutrinos du tau.

Le CERN obtient des neutrinos en amenant un faisceau de protons à entrer en collision avec une cible. Lorsque les protons frappent la cible, des particules appelées pions et kaons sont produites. Ces particules se désintègrent rapidement, donnant naissance à des neutrinos. Contrairement aux particules chargées, les neutrinos ne sont pas sensibles aux champs électromagnétiques que les physiciens utilisent généralement pour modifier la trajectoire des faisceaux de particules. Les neutrinos traversent la matière sans interagir avec elle ; une fois créés, ils ne changent jamais de direction. Ainsi, dès leur création, ils suivent une trajectoire rectiligne à travers l'écorce terrestre. Pour cette raison, il est extrêmement important que, dès le départ, le faisceau pointe exactement dans la direction du Gran Sasso.

Au Gran Sasso, deux expériences attendront les neutrinos du CERN : Opera et Icarus. Opera dispose d’un énorme détecteur pesant 1800 tonnes, composé de plaques photographiques alternant avec des couches de plomb. Les très rares neutrinos du tau produits par l’oscillation des neutrinos, en interagissant avec les couches de plomb, donneront naissance à des particules chargées à vie très courte (appelées leptons tau) qui, en se désintégrant, laisseront des marques dans les émulsions photographiques. En reconstruisant ces traces, les expérimentateurs pourront identifier le lepton tau et détecter ainsi la présence de neutrinos du tau dans le faisceau. Icarus (encore en cours de construction) utilisera un détecteur contenant 600 tonnes d'argon liquide. Les particules produites par l’interaction entre les neutrinos et les atomes d’argon seront enregistrées par une série de capteurs perfectionnés qui seront plongés à même le liquide. Les détecteurs sont situés dans les laboratoires du Gran Sasso où ils sont logés sous 1440 mètres de roche, qui les protège très efficacement contre les rayons cosmiques produits dans l’atmosphère par le rayonnement cosmique primaire. Les rayons cosmiques créent une tempête de particules chargées qui viennent constamment frapper notre planète. Sans l’écran protecteur que forme la roche, le bruit des rayons cosmiques couvrirait complètement le très faible signal produit par les rares interactions de neutrinos dans les détecteurs.

Les expériences sur les neutrinos font partie intégrante des orientations stratégiques de la physique des particules approuvées par le Conseil du CERN le 14 juillet à Lisbonne. Il est essentiel de mettre en œuvre une stratégie commune en matière de physique nucléaire et corpusculaire en Europe du fait de l’importance que revêtira la recherche dans ce domaine dans un avenir proche.

La coordination entre le CERN, les centres de recherche et les laboratoires nationaux s’impose donc plus que jamais. L’expérience commune entre le CERN et le Laboratoire du Gran Sasso arrive à point nommé pour inaugurer les nouvelles orientations approuvées à Lisbonne.

Le projet CNGS vient compléter des projets analogues réalisés aux Etats-Unis et au Japon, qui étudient la disparition d'un type particulier de neutrinos présents dans le faisceau d'origine. Aux Etats-Unis, un faisceau est envoyé du Laboratoire Fermi, près de Chicago, à une mine très profonde située dans le Minnesota. Piermaria Oddone, directeur du Laboratoire Fermi, a d’ailleurs manifesté son enthousiasme : « Au nom du Laboratoire Fermi, je présente mes chaleureuses félicitations pour le bel exploit qu’est le faisceau CNGS. » « De toutes les particules connues, les neutrinos sont les plus mystérieuses. Dans les années à venir, les expériences sur les neutrinos qui seront réalisées à Gran Sasso et ailleurs dans le monde nous permettront de percer les secrets fascinants des neutrinos et de comprendre comment ils ont façonné l'Univers dans lequel nous vivons. »

Au Japon, le projet K2K a permis d'envoyer, entre 1999 et 2004, un faisceau de neutrinos du Laboratoire KEK à la mine de Kamioka. « Le neutrino est en passe de devenir un des sujets fondamentaux de la physique des particules élémentaires », a déclaré Atsuto Suzuki, directeur général du Laboratoire KEK et ancien porte-parole de KamLAND, une autre expérience qui a détecté des neutrinos produits au centre de la Terre. « Il y a de nombreux défis dans ce domaine passionnant. Pour la physique des neutrinos, une étape décisive sera la vérification expérimentale que l'oscillation du neutrino du muon en neutrino du tau correspond à ce qu’ont amené à conclure les observations portant sur les neutrinos atmosphériques. Je suis très heureux à l’idée que les expériences du CERN et du Gran Sasso pourront prochainement apporter une réponse à cette question capitale. »

Pour en savoir plus, contacter:

James Gillies, groupe Communication du CERN
Tél. +41 22 767 41 01
Email: James.Gillies@cern.ch

Eugenio Coccia, directeur des Laboratoires nationaux du Gran Sasso
Tél: +39 862 437 230; + 39 329 052 40 40
Email: eugenio.coccia@lngs.infn.it

Barbara Gallavotti, chef du Bureau de la communication de l’INFN
Tél: + 39 66 86 81 62; + 39 335 660 60 75
Email: Barbara.Gallavotti@Presid.infn.it

1. Le CERN, Organisation européenne pour la recherche nucléaire, est le plus éminent des laboratoires de recherche en physique des particules du monde. Il a son siège à Genève et a actuellement pour Etats membres l’Allemagne, l’Autriche, la Belgique, la Bulgarie, le Danemark, l’Espagne, la Finlande, la France, la Grèce, la Hongrie, l’Italie, la Norvège, les Pays-Bas, la Pologne, le Portugal, la République slovaque, la République tchèque, le Royaume-Uni, la Suède et la Suisse. L’Inde, Israël, le Japon, la Fédération de Russie, les Etats-Unis d’Amérique, la Turquie, la Commission européenne et l’UNESCO y ont le statut d’observateur.
2. L'INFN, Institut national italien de physique nucléaire, finance, coordonne et met en œuvre des activités de recherche scientifique en physique nucléaire et subnucléaire et en astrophysique des particules, et participe au développement des technologies qui s’y associent. Il travaille en collaboration avec des universités, contribue à divers débats sur la scène internationale et participe à des programmes de coopération. L’Institut a été créé le 8 août 1951 par des physiciens de Milan, Padoue, Rome et Turin dans le but de poursuivre et de promouvoir la recherche entamée par l’équipe de chercheurs d’Enrico Fermi dans le années 30. L’INFN, qui se développe continûment depuis 50 ans, compte aujourd’hui 30 unités de recherche, quatre laboratoires nationaux et un centre de traitement des données. En outre, le Laboratoire européen pour la gravitation (EGO), créé conjointement par l'INFN et le CNRS (Centre national français de la recherche scientifique), est implanté dans la région de Pise.